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Somalie : « Les habitants sont terriblement vulnérables à la suite des inondations. Cette situation nous impose des choix cornéliens »

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Somalie

Mohamed Kalil est conseiller aux affaires humanitaires en Somalie et au Somaliland. Entré chez MSF il y a plus de dix ans, il faisait partie de la première équipe de réponse à l’urgence déployée à Beledweyne au lendemain des inondations. De retour du terrain, il nous livre ses impressions.   

Mohamed Kalil
Voici Mohamed Kalil  © Abdalle Mumin/MSF. Novembre 2019

"Beledweyne est une grande ville située au centre de la Somalie. Les buildings y sont nombreux et l’activité commerciale, dynamique. Les fortes pluies saisonnières y sont fréquentes mais cette année, le phénomène a pris une ampleur sans précédent. Gonflé par les eaux des hautes-terres de l’Ethiopie voisine, le fleuve Shabelle est sorti de son lit à la fin octobre, inondant la quasi-totalité de la ville.   

personne n'a été épargné

La catastrophe, la plus importante qu’ait connu le district selon les habitants, n’a épargné personne, frappant indistinctement les riches et les pauvres. Les habitants ont quitté précipitamment leur maison ou leur bureau. Le quartier des affaires a été à ce point inondé que le niveau de l’eau n’a même pas pu être mesuré. Certaines personnes se sont réfugiées sur les toits, coupées ainsi du reste du monde. D’autres ont été secourues par bateau.  

Les pluies ont cessé depuis quelques jours et l’eau est en train de se retirer, laissant voir l’ampleur des dégâts. Les routes et le système d’égouts ont été particulièrement endommagés. Les eaux usées et les eaux de crue se sont mélangées, provoquant la contamination des puits peu profonds d’eau potable.  Les stocks de vivres ont été emportés par les eaux et le risque de paludisme et d’autres maladies est élevé, les nombreuses flaques d’eaux stagnantes favorisant la reproduction des moustiques et autres agents pathogènes.    

Le personnel MSF porte des seaux
Le personnel MSF descend l'aide du camion © Abdalle Mumin/MSF. Novembre 2019

Dans l’hôpital de district, l’eau est montée à 50 cm. La salle d’opération, située plus en hauteur, est la seule à avoir été épargnée. Les consultations médicales ont été suspendues et l’hôpital a cessé ses activités depuis trois semaines. Le système électrique a probablement été endommagé, de même qu’une très grande partie du matériel et des fournitures médicales, qui ne pourront donc plus être utilisés.   

270 000 déplacés

Les inondations ont déplacé quelque 270 000 habitants de Beledweyne  en un temps record. Ces personnes se sont réfugiées sur les hauteurs de la ville. La plupart vivent aujourd'hui dans des abris de fortune – qui se limitent à quelques vêtements accrochés à des arbres ou à des bâtons en bois. Ils ne pourront pas rentrer chez eux avant longtemps.

Nous sommes arrivés avec une petite équipe à Beledweyne le 31 octobre. Ce qui devait être une mission d’évaluation est immédiatement devenue une intervention d’urgence, vu l’ampleur des besoins. Malgré la fermeture de l'aéroport local pendant plusieurs jours, nous avons pu acheminer par la route des stocks d’aliments thérapeutiques, des tentes et des produits de première nécessité, comme des couvertures, des seaux et des ustensiles de cuisine. Nous avons également construit des latrines et acheminé de l’eau potable par camion.

Distribution de matériel non alimentaire
Distribution de matériel non alimentaire  © Abdalle Mumin/MSF. Novembre 2019

Notre aide n'est qu'une goutte d'eau dans l'océan

Les habitants sont dans une telle situation de vulnérabilité que nous avons beaucoup de mal à identifier ceux qui doivent être secourus ou soignés en premier lieu. J'ai vu des adultes et des enfants utiliser des tentes ou des abris de fortune à tour de rôle, car ceux-ci ne sont pas assez nombreux pour toute la famille. J'ai vu des femmes accoucher dans des conditions d’hygiène déplorables et une mère sous-alimentée, dont le mari était décédé, désespérée de ne pas pouvoir allaiter ses jumeaux qui venaient de naître.

Un jour, alors que je procédais à l’évaluation d’un quartier touché par les inondations, j’ai été bouleversé en voyant une femme très âgée tentant de se protéger dans un abri de fortune.  Quelques jours plus tard, lorsque nous sommes revenus pour lui donner une tente, il était déjà trop tard. On nous a expliqué qu’elle était décédée.   

L'aide distribuée jusqu'ici n'a été qu'une goutte d'eau dans l'océan. Certaines familles se partagent même le Plumpy Nut, le complément nutritionnel à haute valeur énergétique que nous utilisons pour le traitement de la malnutrition infantile. Certains n’ont d’autre choix que de boire de l’eau de pluie. Et nombreux sont ceux qui n’ont pratiquement rien pour se protéger alors que les journées sont très chaudes et les nuits fraîches et venteuses.

Une deuxième équipe MSF est arrivée une semaine après nous. Après avoir assuré la formation du personnel du ministère de la santé, elle a organisé un système de cliniques mobiles couvrant quatre quartiers de la ville.

Nous sommes les témoins de terribles souffrances

Les enfants arrivent avec des infections des voies respiratoires comme la pneumonie. Nous traitons de nombreuses maladies à transmission vectorielle, en particulier le paludisme, ainsi que des cas de diarrhées aqueuses et de fièvre inexpliquée.   

Les taux de malnutrition, déjà élevés avant la crise actuelle, ont encore augmenté et dans nos consultations, nous prenons en charge de nombreux enfants souffrant de malnutrition aiguë sévère.  

Nous craignons particulièrement une possible forte recrudescence des cas de paludisme et des épidémies de maladies transmises par l’eau contaminée, comme le choléra. Les organisations humanitaires et les autorités doivent coordonner leurs efforts pour mobiliser l’assistance et veiller à ce que les personnes les plus vulnérables en bénéficient rapidement.   

Il est absolument urgent d’améliorer la qualité de l’eau et les conditions d’hygiène et d’assainissement à Beledweyne et de faciliter l’accès à l’eau potable pour éviter la propagation des maladies."