Pédiatre sur le terrain: une expérience pleine de défis
Charlotte est pédiatre. Après avoir terminé sa spécialisation en 2019, elle suit une formation en médecine tropicale à Anvers. Quelques semaines plus tard, en septembre 2020, elle s’envole pour sa première mission à Kenema en Sierra Leone. Elle rentre à la maison forte de cette première expérience de 6 mois. Aujourd’hui, elle nous fait part de son quotidien au Soudan, où elle est actuellement en mission pour 9 mois.
« Le projet est situé dans l’état du Nil bleu - loin des grands conflits actuels. C’est calme pour le moment mais la région a été dévastée par la guerre il y a quelques années. Beaucoup de personnes ont été déplacées dans les pays voisins notamment en Ethiopie et au Soudan du Sud. C’est un pays, et particulièrement une région où le système de santé est effondré. Notre projet se focalise sur la nutrition – un problème particulièrement criant ici, surtout chez les enfants de moins de 5 ans. L’hôpital de référence où l’on travaille disposait déjà d’une unité de nutrition. Nous avons rejoint l’équipe locale pour travailler à leurs côtés et améliorer la qualité des soins. C’est un projet sur le long terme qui vise à apporter un soutien durable là où on sait que le nombre de patients et la situation ne vont pas s’améliorer dans les prochaines années. Il y a besoin d’énormément de support, notamment en termes de formation du personnel local. »
« En tant que pédiatre, je travaille avec les médecins locaux de l’hôpital pour garantir un service proche de nos jeunes patients. Le Project Medical Referent, lui, organise toutes les activités d’un point de vue médical. Il prend contact avec l’hôpital, décide de la direction à donner aux soins, discute avec les autorités locales. Il y a une personne qui s’occupe des Ressources Humaines/Finance, une autre de la logistique et de l’approvisionnement. Cette personne se charge de la réhabilitation de l’hôpital, d’acheminer les médicaments, de nos logements, et tout ce dont on peut avoir besoin sur place. Il y a une personne responsable des eaux et assainissement. Depuis peu, une Nurse Activity Manager fait le lien entre les patients, le projet, la coordination et le staff. Et puis, il y a le Coordinateur de Projet qui coordonne le projet et assure la gestion de la sécurité sur place. »
Travailler sur le terrain avec MSF demande une grande flexibilité.
« Le travail d’une journée à l’autre varie énormément. Je travaille principalement à l’hôpital avec quatre médecins locaux. Nous accueillons des patients 24h/24, 7 jours sur 7. J’accompagne mes collègues, je les soutiens et je partage mon expertise de pédiatre quand c’est nécessaire. Etant donné que notre projet se focalise sur la nutrition, je donne essentiellement des formations de base dans ce domaine. Je collabore non seulement avec les médecins, mais également avec les infirmières, les aides-soignants, les personnes qui distribuent les repars… afin que l’hygiène soit respectée… pour que tout le monde soit conscient de l’importance de son travail. Je dirai que mon travail demande des connaissances médicales, mais aussi des compétences en formation, être capable d’encourager et de faire preuve de diplomatie. Comme il s’agit d’un nouveau projet, il faut aussi établir les besoins de l’hôpital. Chaque jour apporte son lot de surprises. Bien sûr, tout ce qu’on fait c’est au bénéfice des patients. Ils sont au cœur de nos soins. Tous ce qu’on va chercher au marché, ce qu’on va demander à l’équipe responsable de l’approvisionnement, le temps qu’on passe à discuter avec le reste du staff : c’est pour les patients. »
Travailler à l’étranger signifie collaborer avec une équipe multidisciplinaire et multiculturelle. Les différences culturelles existent et si elles sont une source d’enrichissement, elles peuvent parfois mener à quelques incompréhensions.
« La plupart des personnes recrutées localement sont très motivées parce qu’elles effectuent un travail humanitaire pour leur propre communauté. C’est un moteur pour ces personnes. De plus, on arrive dans un pays qui n’est pas le nôtre, avec une culture différente. Il faut beaucoup de patience, d’ouverture d’esprit et s’attendre à être surpris. Vivre dans une équipe internationale, cela demande beaucoup de patience et savoir s’adapter aux autres. Au niveau du travail, ce n’est pas toujours facile. Lors de ma première mission, je pensais que j’allais changé les choses juste par ma présence. Mais ce n’est pas vrai. Chacun apporte un petit quelque chose. Ce n’est pas toujours facile de voir l’impact positif qu’on a directement. Cela ne vaut pas que pour les professions médicales, les RH, les logs, … on ne voit pas tout de suite le bénéfice qu’on apporte malgré toute l’énergie qu’on donne. On est parfois découragé. Il faut être préparé à vivre ce sentiment. Mais savoir pourquoi on fait ce travail et être entouré de nos collègues nous permet de surmonter ces moments. »
La tolérance et le respect mutuel sont des valeurs essentielles au sein de Médecins Sans Frontières. Chaque jour, Charlotte apprend de son staff : comment communiquer avec la communauté et les patients. « Ce sont eux qui assurent le lien, et font perdurer le projet dans le temps. Cela demande de travailler sur soi et avec les équipes. De plus, MSF a des standards de qualité très élevés, qui ne sont pas forcément les mêmes que ceux du pays dans lequel on travaille. C’est un travail de collaboration à tous les niveaux d’essayer d’atteindre ces standards. »
Pour MSF, la sécurité du personnel est une priorité. Il est donc vital de respecter certaines règles de sécurité. « J’ai la chance d’être dans un état du Soudan qui est assez calme. La principale règle à respecter est le couvre-feu. Il faut être rentré à la maison avant 22h et une fois la nuit tombée, ne pas se déplacer tout seul. Après on a le droit de se promener dans la ville, d’aller au marché sans escorte. On peut y aller à plusieurs, on peut y aller seul. Par contre, en octobre durant le coup d’état, on a dû être confiné dans notre guest house. Mais ce n’était pas un confinement strict. On devait rester dans la maison mais on pouvait aller aux fenêtres, on était libre dans la maison. A ce moment-là, les lignes de communication étaient coupées. Mais le chef de mission avait un téléphone satellite. On pouvait appeler nos familles si on le souhaitait pour les rassurer. Cela a été l’un des plus gros challenges sécurité. »
En mission, les moments de temps libre sont rares, donc précieux. « Ici au Soudan, j’ai moins de temps libre. J’en profite pour dormir beaucoup, … parfois je reste seule, je lis et je regarde mes séries. La plupart des personnes comprennent et respectent cela. Lors de ma précédente mission, j’avais un peu plus de temps libre. J’ai développé mon côté artistique. On a fait de la peinture, de la musique, on jouait à des jeux de société. »
Se voir affecter à une mission à l’étranger est certes excitant, mais le retour peut s’avérer éprouvant : le travail sur le terrain laisse des traces. Pour Charlotte, ce qui est important lorsqu’elle rentre de mission, c’est de « se reposer et retourner à la vie normale. »
« Il faut se réajuster à sa vie à la maison. Peut-être un conseil pratique : il vaut mieux bien régler toutes ses factures et toute son administration avant de partir en mission. Donc bien tout régler avant. Sinon, prendre avec soi quelque chose qui va nous faire nous sentir bien quand on en a besoin : que ce soit de la peinture, du chocolat, du café ou quoi que ce soit d’autre. C’est vital je pense. »