Amélie Delaporte, 31 ans, est anesthésiste. Elle revient de sa troisième mission avec MSF. Nous lui avons posé huit questions sur son expérience.
Pourquoi vous êtes-vous spécialisée en anesthésie ?
Au début, je voulais faire la chirurgie, mais j’ai changé d’avis après un stage en soins intensifs en pédiatrie. J’ai réalisé à quel point j’étais fascinée par le fonctionnement du corps dans son ensemble et la manière dont tout est lié : du cœur aux poumons, en passant par les reins et le cerveau. Je trouve aussi que le moment où on endort le patient et celui où on le réveille sont tout simplement magiques. Qu’ils fassent partie de la famille royale ou qu’ils soient défavorisés, tous les patients sont égaux dans ces moments-là, et ils vous font une confiance aveugle.
En quoi votre expérience chez MSF est-elle différente de vos précédentes expériences de travail ?
Je suis spécialisée en anesthésie et en réanimation. En Belgique, j’ai travaillé comme anesthésiste dans les hôpitaux Erasme, St-Pierre et Brugmann/Reine Fabiola, à Bruxelles. À ce jour, j’ai réalisé trois missions pour MSF : une au Burundi, une en Afghanistan, puis de nouveau une au Burundi. J’ai passé quatre semaines à Bujumbura, au Burundi, où j’ai travaillé dans un centre de traumatologie, et deux mois et demi à Khost, en Afghanistan, dans une maternité. À Bujumbura, nous prenions surtout en charge des victimes de graves accidents de la route (voiture ou moto), des brûlés (principalement des enfants), mais aussi des victimes de torture et des blessés par balle ou à la suite de l’explosion d’une grenade. À la maternité de Khost (où 80 à 100 accouchements sont pratiqués par jour !), je m’occupais des complications à la naissance, des éclampsies et prééclampsies, des défaillances organiques et des pathologies graves.
Chez MSF, j’ai occupé le poste de « référent technique » pour l’équipe d’anesthésie sur place (composée d’un anesthésiste et deux infirmiers anesthésistes). Mais je ne me considérais pas vraiment comme un superviseur. Bien sûr, c’est moi qui prenais les décisions finales, mais mes collègues locaux étaient très compétents et je préférais leur laisser assez d’autonomie, être à leur disposition si nécessaire et les aider à trouver des solutions. La formation constituait aussi une grande part de mon travail.
Pourquoi avez-vous rejoint MSF ?
C’était un rêve d’enfant ! Mais j’y ai beaucoup réfléchi. Après 11 années d’études, j’étais arrivée à un moment de ma vie où j’avais envie de m’installer avec mon petit ami, mais je savais que si je ne partais pas tout de suite avec MSF, je ne réaliserai jamais ce rêve. J’en ai parlé avec ma famille et mon petit ami, et nous avons convenu que je ferais quelques courtes missions. Les anesthésistes peuvent en effet effectuer des missions de six semaines environ. J’avais un peu l’impression de mettre ma vie entre parenthèses, mais pour une bonne cause. Et j’ai vécu une expérience des plus enrichissantes.
Aviez-vous des doutes avant de partir ?
Bien sûr ! Mais j’ai eu la chance de m’entretenir longuement avec des collègues anesthésistes qui avaient déjà travaillé pour MSF, donc je me sentais suffisamment préparée. Ma plus grande crainte était de ne pas être à la hauteur et de ne pas être capable de trouver les bonnes solutions.
Qu’avez-vous appris ?
J’ai énormément appris, tant sur le plan personnel que professionnel. Tout d’abord, le contact avec les patients était extrêmement gratifiant. J’ai pris conscience de tout ce que je pouvais faire pour un patient avec moins de ressources. En Belgique, nous avons des machines qui surveillent tous les paramètres. Nous nous sentons obligés d’utiliser un maximum de cathéters pour que le patient survive. Si un patient fait une grave hémorragie, par exemple : en Europe, nous le plongeons dans le coma et introduisons un cathéter dans l'artère pour surveiller sa fréquence cardiaque et sa tension. Puis on ajouterait un autre cathéter dans la veine pour administrer des médicaments et mesurer encore plus de signes vitaux. Sur le terrain, tout cela n’est pas possible, et pourtant, nous obtenons tout de même de très bons résultats. J’ai donc réalisé qu’il était possible de faire beaucoup avec moins de ressources. Il suffit d’être créatif, d’interpréter les choses différemment, de surveiller étroitement tous les paramètres vitaux du patient. C’était un peu comme revenir aux bases de l’anesthésie.
Comment avez-vous vécu le fait de travailler dans un environnement multiculturel ?
En Afghanistan, je portais tout le temps le voile, mais cela ne me dérangeait pas du tout. Les deux infirmiers anesthésistes et l’anesthésiste (tous des hommes) étaient formidables. Je pensais qu’il serait difficile, en tant que femme, de gérer une équipe masculine, mais ils étaient très ouverts d’esprit et motivés. Ils m’aidaient à communiquer avec les patients quand les interprètes étaient absents et si le langage corporel ne suffisait pas. Ils m’ont aussi patiemment expliqué les coutumes locales. Ils m’ont par exemple appris qu’il est mal vu de faire une petite tape sur l’épaule de quelqu’un en Afghanistan. A posteriori, le contact avec les collègues locaux a vraiment été l’expérience la plus enrichissante.
Parlez-nous d’un patient ou d’un cas que vous n’oublierez jamais.
Je n’oublierai jamais Estelle, une fillette de sept ans admise dans notre hôpital au Burundi. Elle avait été renversée par une voiture et souffrait d’un traumatisme crânien. Nous n’avions pas les moyens de pratiquer une opération du cerveau dans notre hôpital, mais vu son état critique, elle ne pouvait pas être transférée ailleurs et nous l’avons prise en charge. Pendant sept jours, elle est restée dans le coma à l’unité de soins intensifs et a montré des signes de complication cérébrale, mais nous avons essayé de nous occuper d’elle au mieux. Je craignais une hémorragie cérébrale ou un œdème mais, heureusement, le huitième jour, elle s’est réveillée et a présenté des signes d’amélioration. Elle ne pouvait ni manger, ni s’asseoir, ni marcher, mais petit à petit elle a fait des progrès et a guéri. J’avais préparé sa mère au pire mais celle-ci n’a jamais perdu espoir. Cela m’a fait chaud au cœur de les voir quitter l’hôpital ensemble.
Quelles sont les qualités à avoir pour travailler pour MSF ?
Il faut avoir confiance en ses capacités. Il faut aussi être optimiste et dynamique, accepter de travailler avec moins de technologies, et ne pas avoir peur. Les moments les plus durs sur le terrain sont quand vous n’êtes pas sûr qu’un patient va s’en sortir et quand vous devez prendre des décisions importantes de manière autonome. Mais je recommande cette expérience à tout le monde ! J’ai appris tant de choses sur moi-même. Je relativise davantage car je réalise à quel point nous sommes chanceux, ici, en Europe. J’ai aussi beaucoup évolué sur le plan professionnel : je suis plus calme et je gère mieux les situations difficiles.
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