Journée internationale des droits des femmes : la réalité des mères déplacées à Nord-Kivu, RDC
Au cours des deux dernières années, plus d'un million de femmes, d'hommes et d'enfants ont fui les combats qui font rage dans la province du Nord-Kivu, en République Démocratique du Congo. Plus de la moitié d'entre eux ont trouvé refuge près de la capitale provinciale, Goma, et la plupart vivent dans des conditions inhumaines sur des sites improvisés où tout manque : des abris décents, de l'eau, de la nourriture, des soins de santé et une protection contre la violence, y compris les agressions sexuelles.
Le photographe Philémon Barbier s'est rendu à Kanyaruchina, le plus grand camp de personnes déplacées autour de Goma (RDC), où plus d'un demi-million de personnes ont trouvé refuge après plus de deux années de combats intenses dans le Nord-Kivu. Il a capturé l'histoire intime de quatre mères vivant dans des conditions de vie difficiles, après avoir dû fuir des violences répétées.
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Kanyaruchinya, au nord de Goma, est l'un des plus grands sites de la province qui a d’abord accueilli des personnes affectées par l'éruption du volcan Nyiragongo en mai 2021 puis des familles fuyant les premiers combats dans le territoire de Rutshuru. Fin octobre 2022, la population de Kanyaruchinya a triplé en l’espace de quelques jours. Dix-huit mois plus tard, environ 200 000 personnes continuent d’y vivre dans des conditions épouvantables, sous des abris construits avec des branches d’eucalyptus et de bâches en plastique. A Kanyaruchinya, comme dans la plupart des autres sites autour de Goma, l'aide humanitaire fait cruellement défaut.
Des violences sexuelles comparables à une épidémie
Quiconque pénètre sur ce vaste site est frappé par le nombre de femmes qui se démènent pour tenter de gagner leur vie et faire vivre leur famille, en ramassant et en vendant du bois, en cousant des vêtements ou en essayant de cultiver les plus petits lopins de terre disponibles pour conserver un minimum de dignité. Dans des conditions de vie absolument inhumaines, des milliers d'entre elles élèvent des enfants, souvent seules, et font de leur mieux pour les nourrir, parfois au prix de leur propre sécurité. Les cas de violences sexuelles à l'intérieur et à l'extérieur du site sont si nombreux qu’on pourrait le comparer à une épidémie, au même titre que le choléra et la rougeole.
Soutien en soins de santé maternelle
Pour aider ces femmes à rester malgré tout en bonne santé, ainsi que les autres habitants de Kanyaruchinya, MSF appuie le centre de santé depuis juillet 2022. Chaque jour, la structure reçoit environ 250 patients ayant besoin de soins de santé primaires, tandis que les équipes présentes à la maternité assistent quotidiennement une douzaine de femmes à accoucher. En 2023, près de 3300 mères ont pu donner la vie dans cet environnement médicalisé.
Les femmes mises en avant dans ce reportage photographique ont toutes bénéficié du soutien de MSF. Leurs témoignages, recueillis en janvier 2024, révèlent leur courage face aux multiples déplacements qui ont jalonné leur vie, leur force à garder espoir malgré des conditions de vie difficiles, mais aussi leurs craintes pour l'avenir de leurs familles, alors que les espoirs de paix se font rares et que la violence sur le lieu où elles ont trouvé refuge est malheureusement une réalité quotidienne.
Alice, 19 ans : Des bandits armés pénètrent dans nos maisons. Nous avons besoin que la paix revienne
Orpheline de père et de mère, Alice et ses jeunes frères ont fui Buhumba, dans le territoire de Nyiragongo, lorsque les combats ont atteint leur village.
« Lorsque nous avons vu les gens fuir en masse, nous avons pris peur et nous nous sommes faufilés dans la foule jusqu'au camp de Bugere, près de Saké [à 25 kilomètres à l'ouest de Goma] », se souvient-elle.
Pour gagner un peu d'argent pour elle et ses frères à Bugere, Alice a ouvert un petit magasin de boissons sur la route. C'est là qu'elle a rencontré Elie, qui a également fui Buhumba, et avec qui elle s'est installée à Kanyaruchinya. C'est là que le couple vit depuis février 2023 et que leur fille, Rehema Alliance, est née 10 mois plus tard, au centre de santé de Kanyaruchinya.
« Malgré les conditions de vie ici, ma grossesse s'est bien passée », dit-elle en regardant son album photo, le seul souvenir qu'elle ait ramené de Buhumba. « J'ai été bien soignée au centre de santé, nous avons reçu tous les médicaments, les soins et les conseils dont nous avions besoin et gratuitement ».
Mais aujourd'hui, elle est inquiète à l'idée d’élever un enfant ici. « Son avenir n'est pas assuré dans les conditions actuelles. De plus, des bandits armés s'introduisent dans les abris et nous demandent de l'argent. Si vous n'avez pas d'argent, vous risquez d'être tué ».
Pour subvenir aux besoins de sa famille, Elie, le père, multiplie les petits boulots : moto-taxi, coiffeur, transporteur de planches de bois, etc. « Ce n'est pas suffisant pour gagner un revenu décent, et il est difficile pour nous de trouver de quoi manger » soupire-t-il. « Dans ces conditions, je ressens parfois de la tristesse d’avoir eu mon premier enfant ici. Nous vivons dans un abri où l'eau s'écoule quand il pleut et où il fait étouffant quand le soleil brille ».
Malgré toutes les difficultés qu'Alice et Elie traversent, « l'arrivée de cet enfant reste une bénédiction », déclare Alice. « Je ne peux qu'être heureuse et ma fille ne peut qu'être heureuse. Mais il faut que nous puissions retourner au village quand la paix sera revenue. Quand je reçois des nouvelles de mon village, ceux qui sont restés nous disent qu'ils souffrent encore plus que nous, parce qu'ils ne reçoivent pas d'aide humanitaire et que les combattants détruisent les champs. Il faut que la paix revienne ».
Francine, 24 ans : Quelle est la différence entre ce site et le village que j'ai fui ?
Originaire de Kiwanja, dans le territoire de Rutshuru, Francine est arrivée sur le site de Kanyaruchinya en octobre 2022.;
« J'ai fui en moto avec mes grands-parents jusqu'à Rugari, mais nous n'avions pas assez d'argent pour payer le reste du voyage, alors nous avons marché pendant des jours et des nuits sans manger », se souvient-elle.
C'est la troisième fois depuis 2006 que Francine est obligée de fuir à cause des combats dans sa ville natale. « À chaque fois, il faut recommencer sa vie à zéro », soupire-t-elle. Pour survivre, elle et son mari Jean de Dieu ont créé un petit commerce sur le site, mais ils se sont endettés et l'argent qu'ils gagnent ne leur permet de manger qu'une fois par jour - une situation particulièrement compliquée pour cette jeune mère qui allaite et qui a accouché il y a seulement trois mois dans la maternité soutenue par MSF, où elle est venue aujourd'hui pour faire vacciner son bébé.
« Parfois, on perd la tête et on se décourage complètement », explique-t-elle. « Ma grossesse a été une période de souffrance extrême. Être enceinte et dormir sur des feuilles sous une bâche, c'est impossible. Et maintenant, au rythme où vont les choses, j'ai très peur que mon bébé souffre bientôt de malnutrition. Il est très difficile de trouver la joie ici ».
Outre les conditions de vie extrêmes, la violence dans le camp est une autre source d'inquiétude pour Francine, qui pensait être à l'abri des hommes armés. « Le crépitement des balles est courant dans le camp, de jour comme de nuit », explique-t-elle. « Je me demande parfois quelle est la différence entre ici et le village que j'ai fui, entre les zones occupées et ce camp ? »
Jeanne, 64 ans : J'espère que ma fille et ma petite-fille auront un meilleur avenir que moi
Jeanne vivait à Rugari, dans le territoire de Rutshuru, lorsqu'elle a été contrainte de fuir les combats et de se réfugier à Kanyaruchinya. C'est la deuxième fois qu'elle doit fuir les violences dans le Rutshuru.
« J'ai tout perdu », nous dit-elle depuis son minuscule abri fait de branches et de plastique où elle vit « depuis quatre récoltes de pommes de terre ». Trop âgée pour aider aux travaux agricoles, elle compte désormais sur la solidarité des autres personnes déplacées pour survivre. Mais compte-tenu des conditions de vie dans le camp, elle avoue passer des jours sans manger.
« Sur mes huit enfants, un seul a survécu à la maladie et à la violence », dit-elle. « Elle est enceinte de huit mois et j'ai très peur pour elle car elle doit malgré tout travailler dans les champs et porter des planches pour survivre ».
Sa fille Aimée n'a pas pu rester à Kanyaruchinya en raison des conditions de vie dans le camp. « J'ai dû déménager à Kibati, à deux kilomètres de là, pour rester dans la case en bois de ma belle-mère car les médecins m'ont dit qu'étant donné ma grossesse, je ne pouvais plus dormir sur les pierres à même le sol. C'est la première fois que je vis une grossesse dans ces conditions et je suis très inquiète pour l'avenir de ma fille ».
Jeanne vit désormais seule dans le camp. « J'espère que ma fille et ma petite-fille auront un avenir meilleur. Aujourd'hui, je n'ai pas d'autre choix que d'espérer. Mon plus grand rêve est de rentrer chez moi lorsque la paix sera rétablie. Je m'en remets à Dieu, il est le seul à pouvoir apporter une paix durable ».
Gisèle Dorika, 18 ans : Je veux que ma fille puisse étudier, travailler et être indépendante
En novembre 2022, Gisèle a fui avec ses parents le village de Rugari, dans le territoire de Rutshuru.
« Nous avons marché pendant trois semaines avant d'arriver ici », explique-t-elle début janvier 2024, un jour après avoir accouché dans la maternité gérée par MSF dans le centre de santé de Kanyaruchinya.
Aujourd'hui, Gisèle vit dans un abri à côté de ses parents. Mais le père de son enfant n'est pas là.
« Je ne le connaissais pas », dit-elle. « C'est un fonctionnaire. Chaque jour, j'essayais d'obtenir une carte pour avoir accès à de l'aide humanitaire, mais je n'y arrivais pas. Il m'a vue et m'a dit qu'il pourrait m'en obtenir une si je venais avec lui un soir. J'y suis donc allée... ».
Lorsque Gisèle lui a annoncé qu'elle était enceinte, l'homme lui a dit qu'il l'épouserait "quand la guerre sera finie" et qu'il s'occuperait de l'enfant quand il aura six ans. En attendant, il l'aide un peu en achetant des couches et des lotions pour le bébé.
« Je veux qu'elle étudie beaucoup, qu'elle travaille et qu'elle soit indépendante », dit-elle.
Aujourd'hui, malgré les difficultés quotidiennes, Gisèle se sent en sécurité car sa tente est à côté de celle de ses parents, même si sa mère, Espérance, dit que « presque toutes les nuits, il y a des crépitements de balles ».