Liban : les défis de la prise en charge des enfants atteints de thalassémie
Jeudi 03 décembre 2020
Au Liban, nos équipes prennent en charge des enfants atteints de thalassémie depuis 2018. Cette maladie génétique du sang, sous ses formes aiguës, nécessite un traitement intensif que nous dispensons dans un hôpital pédiatrique de la ville de Zahlé. Un programme mis à rude épreuve en 2020 en raison notamment de la pandémie de COVID-19.
Désormais en sécurité après avoir fui la Syrie, Ammouna Ibrahim Ahmad se rappelle les raisons pour lesquelles elle et son mari ont décidé d'emmener leurs enfants au Liban. Ils avaient enduré des années de bombardements lorsque le groupe État islamique a pris le contrôle de la ville de Manbij où ils vivaient à l'époque.
Les groupes armés empêchaient les civils de quitter la ville et Ammouna ne pouvait donc plus se rendre à Alep, deuxième ville de Syrie, pour acheter les médicaments dont ses garçons avaient besoin pour lutter contre les effets de la thalassémie. Puis, après que les Forces démocratiques syriennes ont pris le pouvoir, les services de transfusion sanguine ont été pratiquement interrompus. « Alors pendant trois ans, j'ai dû organiser les transfusions sanguines à la maison, détaille Ammouna. Je devais demander aux membres de la communauté des dons de sang. Ce fut une période très difficile. »
Ammouna et son mari ont finalement emmené leurs enfants au Liban. Mais dans ce pays, l’accès aux soins de santé est extrêmement limité pour les Syriens et ils ont rapidement découvert les coûts prohibitifs pratiqués par les cliniques privées. Ils étaient sur le point d'abandonner et de rentrer en Syrie lorsqu'ils ont découvert le programme MSF de l'hôpital Elias Haraoui de Zahlé.
La thalassémie
Maladie héréditaire causée par une altération des gènes nécessaires à la synthèse de l'hémoglobine, la molécule responsable du transport de l'oxygène dans le sang. Les patients non traités peuvent voir leur espérance de vie considérablement raccourcie. Le traitement nécessite des transfusions sanguines régulières pour compenser le manque d’hémoglobine. Cependant, cela entraîne une surcharge en fer, entraînant des maladies cardiaques, hépatiques et autres, de sorte que les patients atteints de thalassémie ont besoin de chélateurs de fer.
Un programme complet
Le programme MSF est le seul du pays à offrir une prise en charge complète et gratuite aux enfants atteints de thalassémie, quelle que soit leur nationalité. La plupart des patients aujourd'hui sont des réfugiés syriens, même si certains sont issus de familles libanaises vulnérables.
L'unité de lutte contre la thalassémie de MSF à l'hôpital Elias Haraoui dispense des soins complets et multidisciplinaires. Cela comprend le diagnostic, les transfusions sanguines, les médicaments chélateurs du fer, le soutien psychosocial et les consultations.
« Ici, à l'hôpital, mes garçons reçoivent les transfusions et les médicaments dont ils ont besoin, explique Ammouna, qui travaille comme journalière dans une ferme locale et dont le mari est charpentier. Nous venons ici depuis trois ans maintenant. »
Le programme que nous gérons à l'hôpital Elias Haraoui, au cœur de Zahlé, propose actuellement des traitements à 96 enfants atteints de thalassémie, dont Abbas et Youssef, les enfants d’Ammouna. « Nous avons augmenté le nombre d’enfants que nous traitons cette année, déclare le Dr Layal, responsable des activités médicales du programme. Nous souhaitons pouvoir faire plus pour répondre aux besoins, mais nous sommes limités par le prix très élevé des médicaments contre la thalassémie. »
Pour le Dr Layal, l'un des objectifs du programme est d'aider les enfants à voir « qu'ils ne sont pas seuls, qu'ils peuvent aller à l'école, qu'ils peuvent grandir et aller à l'université, et qu'ils peuvent se marier et avoir des enfants en bonne santé. » Les familles peuvent recevoir de nombreuses informations sur la maladie. Construire un lien fort avec les familles des enfants atteints de thalassémie est particulièrement important parce que la maladie est très éprouvante émotionnellement pour les jeunes patients et leurs parents.
Certains patients qui présentent des formes avancées de la maladie développent des complications et nécessitent des traitements lourds, comme Mohammad Nour, qui doit prendre des corticostéroïdes pour éviter que son corps ne rejette les transfusions. Mais cette thérapie a des effets secondaires, dont l'agressivité et une augmentation de l'appétit. « Cela ajoute à la souffrance de la mère », avance le Dr Haytham Bou Hussein, cardiologue pédiatrique à l'hôpital.
« La thalassémie en général est très difficile pour les parents et pour les enfants, explique le Dr Alaa Abu Farah, pédiatre MSF. Certaines familles doivent parcourir de longues distances pour se rendre à l’hôpital pour les transfusions et le suivi régulier de leur enfant. Ils font face à des difficultés psychologiques et nous avons un psychologue qui leur rend visite pour les soutenir. » Le service des activités externes de MSF aide également les parents à inscrire leurs enfants à l’école.
Covid-19 et explosions à Beyrouth
Selon l'Onu, près de 880 000 réfugiés syriens vivent au Liban. Environ 40 % d’entre eux vivent dans la vallée de la Bekaa, où se trouve le programme de lutte contre la thalassémie de MSF. L'effondrement de l'économie libanaise, aggravé par l'impact de la pandémie de COVID-19, a rendu encore plus difficile pour les familles de réfugiés syriens l'accès à des services de santé publique déjà surchargés.
Les parents de Dalal, une jeune fille atteinte de thalassémie, devaient dépenser des fortunes pour que leur fille reçoive un traitement avant qu’ils n’entendent parler du programme MSF. Pour chaque transfusion sanguine dont Dalal avait besoin, Hani et sa femme devaient payer plus de 200 dollars alors que le père n’en gagnait que 300 par mois. Une hospitalisation leur a même coûté 2 000 dollars, qu’ils ont mis des mois à rembourser.
La pandémie de COVID-19 a également touché directement le programme de thalassémie. Selon Sami Moussa, agent de santé communautaire MSF, le principal impact a été la difficulté croissante à obtenir des dons de sang.
Avec les restrictions dues au COVID-19, les routes sont souvent fermées et les rassemblements publics sont interdits. « Nous essayons d'amener les personnes vivant dans les camps de réfugiés autour de nous à faire un don de sang, mais cela est également difficile car les gens hésitent à se rendre dans un centre médical. Ils ont peur de nous à cause de notre travail, certaines personnes pensent que nous présentons un risque de transmission du Covid-19 », explique Sami Moussa.
Les explosions du 4 août 2020 qui ont eu lieu sur le port de Beyrouth ont rendu la situation encore plus difficile car de nombreuses personnes avaient déjà fait un don de sang pour répondre à cette urgence. Les équipes MSF du programme de Zahlé ont mis en place un système de transport pour les donneurs, qui leur permet de se rendre dans les centres de la Croix-Rouge libanaise, qui travaille avec le programme MSF contre la thalassémie. « Nous élargissons aussi les endroits que nous ciblons pour les donneurs de sang. Nous continuerons de nous battre », conclut Moussa.