Anesthésiste sur le terrain : une expérience unique
Sofie est anesthésiste chez Médecins Sans Frontières depuis 2019. Son métier est indispensable dans les équipes médicales sur le terrain et nous sommes d'ailleurs constamment à la recherche de ce profil rare. Nous lui avons posé quelques questions sur la vie en tant qu'anesthésiste dans des circonstances humanitaires.
À combien de missions avez-vous déjà participé avec MSF et dans combien de pays ?
Pour ma première mission, je suis partie en Afghanistan pendant trois mois. Après ça, je devais partir au Burundi pendant 3 mois, malheureusement le voyage a été rendu impossible à cause de COVID-19, donc MSF a pu me renvoyer en mission en Afghanistan.
Pourquoi avez-vous rejoint MSF ?
Travailler dans un contexte humanitaire avec MSF était un de mes rêves même avant le début de mes études. C'est une réponse classique, mais c'était surtout pour aider une cause qui me tenait à cœur. Je veux aussi toujours explorer de nouveaux horizons et découvrir d'autres cultures. Donc, d'une part je voulais avoir un impact positif dans le monde et d’autre part je voulais évoluer, à la fois professionnellement et personnellement.
En quoi votre expérience MSF sur le terrain différe-elle de votre expérience professionnelle précédente ?
Sur le terrain, l’on travaille dans un contexte avec beaucoup moins de ressources, tant pour le diagnostic que pour le traitement. La principale différence est qu’il faut se fier beaucoup plus aux examens cliniques, à ce qui est visible et aux réactions du corps des patients.
Ici en Belgique, nous avons des cathéters pour surveiller la pression artérielle des patients qui sont dans un état critique, des électrocardiogrammes (ECG), différentes perfusions intraveineuses pour administrer des médicaments pour le cœur et la pression artérielle, ... Tous ces instruments sont peu disponibles sur le terrain.
Parfois, j'avais littéralement un doigt au poignet du patient et c’était mon seul moyen de surveillance. Je regardais aussi la pâleur des paupières, par exemple, pour évaluer la perte de sang.
Y a-t-il un cas spécial ou un patient dont vous vous souvenez le plus ?
En Afghanistan, j'ai pu travailler dans la plus grande maternité de MSF au monde. Un jour, j'ai été appelée chez une patiente qui avait développé un œdème pulmonaire fulminant pendant l’accouchement. Je n'avais jamais vu de cas aussi extrême de ma vie.
Nous faisions tout notre possible pour stabiliser la patiente, mais nous avions absolument besoin d’un médicament spécifique que nous ne parvenions pas à localiser. Après des recherches frénétiques, grâce à la coopération de mon équipe, nous avons trouvé le médicament et à partir de ce moment, son état s’est stabilisé et nous avons pu la transférer de la maternité à l’hôpital. Plus tard, le gynécologue est venu nous raconter que la famille de la patiente était tellement reconnaissante qu'ils étaient en train de prier pour toute l'équipe. C'était un si beau geste, je ne l'oublierai jamais.
Quelles leçons uniques avez-vous appris sur le terrain ?
En tant qu'expat MSF, on a généralement un rôle de soutien et c'était également mon cas. L’objectif de ma position était d’aider mon équipe, la guider et m'assurer qu'elle puisse être aussi indépendante que possible. J'ai énormément appris grâce à ça et je n'aurais jamais eu cette expérience, si tôt dans ma carrière, sans MSF.
J'ai aussi appris à être flexible. J'avais l'habitude d'avoir toutes les informations sur mes patients sur un moniteur. Si j’avais besoin d’en savoir plus, je pouvais faire un CT-scan ou un examen RX, mais sur le terrain, ce n'est souvent pas une option. Il faut donc s'adapter très fort et faire preuve de créativité en fonction de la situation et des ressources dont l’on dispose.
Grâce à ces expériences, je parviens facilement à mettre les choses en perspective dans ma vie personnelle et je me préoccupe beaucoup moins des petits soucis de la vie quotidienne !
Avez-vous eu des doutes avant de partir sur le terrain ?
Je n'ai jamais eu de doutes par rapport à ma motivation mais, comme tout expat qui part en première mission, j’avais peur de ne pas être bien équipée pour gérer les défis du travail sur le terrain. C’est une peur tout à fait légitime et normale, on ne peut savoir comment ce sera que une fois qu’on est sur place. Je me suis vite rendu compte que je pouvais vraiment me fier à mon éducation et à mes connaissances.
Comment avez-vous vécu le fait de travailler dans un environnement multiculturel ?
Pour moi, apprendre à travailler dans une culture différente était l'un des aspects les plus enrichissants de la vie sur le terrain. En Afghanistan, par exemple, j'étais responsable d’une équipe composée exclusivement d'hommes, je portais un foulard et je devais apprendre les coutumes culturelles locales. Cela peut sembler intimidant, mais il y avait tellement de respect mutuel que ce fut une expérience merveilleuse. L'intégration s'est déroulée très naturellement et ce qu’on obtient en retour est impayable : le courage, l’engagement, les valeurs des autres, … C'était fantastique d'être complètement immergé dans une culture si différente.
Quelles sont des qualités ou capacités indispensables pour travailler chez MSF en tant qu’anesthésiste ?
La flexibilité est l'une des qualités les plus importantes qu’il faut absolument posséder, en générale chez MSF et certainement aussi en tant qu'anesthésiste. Il faut être capable de s’adapter à des situations particulières avec des ressources minimales.
Les compétences sociales sont également cruciales, en particulier dans le rôle de coach au sein de votre équipe. Vous devez être capable de bien communiquer et de vous exprimer malgré la culture différente, la barrière linguistique, les différences d'éducation et de connaissances. Il y a de nombreux obstacles potentiels à surmonter, une communication positive, ouverte et impartiale est donc fondamentale.
Avez-vous des conseils pour les futurs anesthésistes qui veulent travailler sur le terrain ?
Ce que j’ai fait quand j'ai commencé à solliciter, c’était des recherches. Je me suis informée, j'ai beaucoup lu et j’ai épluché le site web de MSF. Il y a des vidéos très informatives sur la page YouTube de MSF. C’est aussi toujours une bonne idée de participer à une session d'information et de savoir ce que c’est de travailler sur le terrain pour MSF. Dans mon cas, tout ce que j'ai appris m'a rendu encore plus enthousiaste à postuler.
Que prenez-vous dans votre valise pour partir en mission, quelles sont les choses les plus importantes ?
Mes vêtements et mes chaussures de sport, un haut-parleur pour la musique et des cadeaux. Surtout le chocolat et le fromage, qui sont souvent des denrées rares sur le terrain !
Qu'est-ce qui est le plus difficile lorsque vous revenez d'un projet sur le terrain ?
Les premiers jours après le retour sont souvent les plus difficiles, car vous quittez ce qui est devenu votre famille d'expats, votre équipe nationale, toutes les personnes qui ont participé à la mission en même temps que vous et qui ont partagé votre expérience.
Ce qui aide dans un moment pareil, c'est de s’entourer de sa famille et de ses amis, tous ceux que vous aimez et qui peuvent vous aider à reprendre le fil.
Que diriez-vous à quelqu'un qui hésite à postuler comme anesthésiste pour MSF ?
N'hésitez pas ! Renseignez-vous, rendez-vous à une session d'information, vous n’en serez que plus enthousiaste ! Si vous pensez que vous pourriez correspondre au bon profil, je ne peux que vous conseiller de franchir le pas.
C'est une expérience unique que peu de gens ont la chance de vivre. C'est également une excellente occasion d'acquérir de l'expérience. Il suffit d'oser et ce que vous obtiendrez en retour est irremplaçable.